vendredi 23 novembre 2007

Des grèves partout, sauf dans les statistiques ?


En cette période de grèves, un certain nombre d'articles de journaux, de blogs et même d'émissions télévisées ont tenté de remettre en perspective les journées que nous vivons en comparant le nombre de journées non travaillées en France à la fois dans le temps et dans l'espace. Et là, quelle surprise ! D'une part, les conflits du travail seraient moins nombreux en France qu'ailleurs en Europe et d'autre part, les Français auraient de moins en moins recours à la grève. Nous autres Gaulois serions moins grévistes que nos voisins et de plus en plus gagnés par la « zen attitude » ? Ça par exemple ! ça vaut bien une rasade de potion magique !

Hélas, cher lecteur ! Nous avons le regret de t'annoncer que ce paradoxe est un peu trop beau pour être vrai et qu'une petite plongée dans le monde merveilleux des statistiques des conflits du travail te convaincra aisément de son inanité...

Bien qu'initialement séduits par les attaques lancées contre le « mythe d'une France gréviste », nous avons rapidement été intrigués par certaines incohérences contenues dans l'article de François Doutriaux : ce dernier nous explique qu'il y avait environ 1,2 million de journées non travaillées en 2005 pour l'ensemble des salariés français (année très pauvre en grèves par ailleurs) ce qui, en divisant ce chiffre par la population salariée (environ 22 millions d'individus) nous donne un chiffre de 0,05 journée « grevée » par salarié et par an ; or quelques lignes plus loin, le même soutient qu'en France, le nombre de journées grevées par salarié par an ne dépasse pas... 0,03, soit un chiffre bien inférieur à la moyenne européenne (qui se situe autour de 0,04). Pour en avoir le coeur net, nous nous sommes livrés pour vous à une petite généalogie des statistiques utilisées. Autant le dire tout de suite : vous ne serez pas déçus du voyage !

CHAPITRE I : Où l'on découvre que tout le monde puise à la même source

Les chiffres cités par les blogs et les journaux renvoient tous à une seule et même source : cet article de Ian Eschstruth intitulé « La France, pays des grèves ? » et publié sur le site d'Acrimed (on notera au passage que l'intro de l'article de François Doutriaux en reprend l'incipit presque mot pour mot...), cette contribution étant elle-même la synthèse d'un mémoire devoir de M1 de sociologie rédigé par Eschstruth, disponible ici et publié là.

Le papier n'exploite pas directement de bases de données sur les grèves mais cite des travaux de recherche qui eux-mêmes renvoient à d'autres études statistiques : les sources de Erschtrut sont donc des sources secondaires et non pas des sources primaires. En allant consulter les articles cités, nous avons finalement pu mettre la main sur la seule et unique source primaire des chiffres donnés sur la France, à savoir les statistiques portant sur les conflits du travail produites par la Dares, le service d'études statistique du ministère du Travail. La généalogie des sources utilisées dans les articles sur lesquels s'appuie le travail de Ian Eschstruth est résumée dans le tableau suivant :


CHAPITRE II : Où l'on s'aperçoit qu'en se limitant à cette source très lacunaire, on risque de prendre des vessies pour des lanternes

Si nous vous disions que les chiffres utilisés dans les études précitées ne comprennent que les journées de grèves (très imparfaitement) comptabilisées par les inspecteurs du travail (dont ce n'est pas le métier), qu'ils ne prennent en compte ni les grèves dans la fonction publique (sic), ni dans le secteur agricole, ni à France Telecom, vous nous traiteriez sans doute d'aimables plaisantins ! Vous auriez tort, car la réalité est pire encore : c'est un peu comme si on cherchait à quantifier les échanges commerciaux dans le monde en oubliant d'inclure la Chine et les pays de l'OCDE...

Le tableau qui suit indique la manière dont est calculée la statistique qui fait tant parler d'elle en ce moment : 37 journées individuelles non travaillées (JINT) (1) en moyenne pour 1000 salariés en France au cours de la période 1998-2004, ce qui nous placerait par ordre décroissant de conflictualité en 11e position parmi les pays de l'Union européenne, loin derrière le Danemark ou l'Espagne (respectivement 218 et 166 JINT pour 1000 salariés). Cocorico !


Le lecteur familier des chiffres de l'emploi aura constaté avec effroi que le nombre total de journées de grèves est ici divisé par 15 millions de salariés alors que le nombre total de salariés en France est de 22 millions. Où sont donc passés les 7 millions de salariés qui manquent ? Et surtout, qui sont-ils ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, c'est l'intégralité du secteur public hors transports qui est passée aux oubliettes, alors qu'on on a de sérieuses raisons de penser que le recours à la grève y est plus fréquent que dans le reste de l'économie (on y reviendra plus loin). Le chiffre utilisé par Eschstruth et consorts ne couvre donc que le secteur privé, ce qui est un comble lorsqu'on sait que les jours de grèves comptabilisés dans les pays avec laquelle la France est comparée incluent tous le secteur public, à l'exception du Portugal et de la Slovénie (voir ici pour plus de détails). Cette remarque s'applique à l'ensemble certains des graphiques présentés dans son article (en particulier celui qu'utilise Doutriaux). En statistique, on appelle cela un biais de sélection.

Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! Car il faut savoir que les données collectées par la Dares ne couvrent que la moitié environ du nombre réel de jours de grèves dans le secteur privé. Les économistes du ministère du Travail reconnaissent eux-mêmes que la nature administrative des données utilisées est responsable de cette forte sous-estimation, de la même manière que les chiffres du chômage fournis par l'Unedic sous-estiment systématiquement le nombre réel de chômeurs (au sens du BIT).

Consciente de ce problème, la Dares a récemment cherché à comparer les données administratives dont elle dispose avec les chiffres d'une enquête statistique beaucoup plus fiable : l'enquête REPONSE, qui porte sur les relations professionnelles dans les entreprises de plus de 20 salariés. Ce travail, réalisé par Delphine Brochard au mois de novembre 2003, montre que l'ampleur de la sous-évaluation des conflits du travail est considérable : en effet, sur près de 1000 établissements déclarés comme « conflictuels » (c’est-à-dire comme ayant connu au moins un arrêt de travail dans l'année) par le représentant de la direction interrogé dans le cadre de l’enquête REPONSE réalisée en 1994, 84% n’ont fait l’objet d’aucune fiche de début et de fin de conflit au cours de la période considérée. Pour la seule année 1992, le nombre de journées non travaillées estimé par l’enquête est égal à plus du double de celui livré par les chiffres officiels (1160295 contre 490500). La conclusion de l'étude est sans appel : « ce résultat permet de conclure que le nombre des arrêts de travail pour fait de grève est très largement minoré par les statistiques officielles et conséquemment l’indicateur principal que nourrit le dispositif administratif, à savoir le nombre de journées individuelles non travaillées ».

CHAPITRE III : Où l'on s'efforce de construire des données plus fiables

A partir de là, il n'y a guère d'autre option que de mettre les mains dans le cambouis statistique afin d'essayer d'y voir plus clair et de quantifier de la manière la moins imprécise possible le nombre annuel de jours non travaillés en France et son évolution dans le temps. Pour cela, nous avons mobilisé deux séries de sources statistiques :

1/ Bien qu'incomplètes (comme on l'a expliqué plus haut), les données collectées par le ministère du Travail permettent de reconstituer l'évolution du nombre de grèves dans le secteur privé et dans les entreprises nationalisées (hormis la Poste et France Télécom), sur l'ensemble de la période 1982-2005. Les statistiques sur les conflits du travail au niveau national et régional sont publiées chaque mois dans le Bulletin Mensuel de Statistiques du Travail édité par la Dares et dont nous avons consulté les exemplaires parus depuis le milieu des années 1980. Ces recueils statistiques distinguent les « conflits localisés », résultant de mots d’ordre propres à l’entreprise ou à l’établissement et les « conflits généralisés » qui peuvent affecter plusieurs établissements au niveau national, régional ou local, dans un ou plusieurs secteurs d’activités. Cette dernière catégorie, qui n'a jamais concerné qu'un nombre assez limité de conflits, a presque totalement disparu depuis la fin des années 1990. Il est à noter que les conflits à la SNCF, à la RATP, à Air France ou chez Renault sont inclus dans les statistiques du ministère du Travail, avec un trou en 1996 (les grèves à la RATP et à Air France n'ayant pas été comptabilisées cette année-là, pour une raison qui demeure obscure).

2/ Les statistiques sur les grèves dans la fonction publique d'Etat sont quant à elles publiées depuis 1982 par la Direction Générale de l'Administration et de la Fonction publique (DGAFP). Ces données comportent deux séries de lacunes : la première est l'absence d'informations concernant la fonction publique territoriale et hospitalière, qui représente la moitié environ des effectifs de la fonction publique ; la seconde lacune concerne les grèves des personnels de France Telecom et de la Poste : à l'occasion du changement de statut qui a affecté ces deux entreprises publiques au milieu des années 1990, les grèves de leurs personnels ont cessé d'être comptabilisées depuis 1996 pour France Telecom et entre 1996 et 1997 pour la Poste.

Muni de ces donnés, et en gardant à l'esprit les diverses lacunes que nous avons mentionnées, on peut tenter de répondre aux deux questions qui agitent en ce moment la presse et la blogosphère gauloises : 1/ Y a-t-il plutôt moins de grèves en France qu'ailleurs ? 2/ Y a-t-il de moins en moins de grèves en France ?

CHAPITRE IV : Où l'on tente de répondre à quelques questions

1/ Y a-t-il plutôt moins de grèves en France qu'ailleurs ?

On se souvient que dans la comparaison effectuée par Ian Eschstruth du nombre de journées individuelles non travaillées pour 1000 salariés en Europe au cours de la période 1998-2004, les données sur la France ne couvraient que le secteur privé alors que les grèves dans le secteur public étaient comptabilisées pour la quasi totalité des autres pays.

Que se passe-t-il si l'on ajoute aux chiffres du secteur les grèves dans la fonction publique d'Etat ? La réponse est donnée dans le graphique suivant, qui rectifie le nombre de JINT pour 1000 salariés de la France et exclut les pays dont les grèves du secteur public ne sont pas comptabilisées (Portugal et Slovénie) :


Par Toutatis ! Cette simple correction suffit à faire remonter notre pays de la 11e à la 3e position dans l'échelle des conflits du travail : avec 99 JINT en moyenne pour 1000 salariés au cours de la période 1998-2004, la France est classée troisième, derrière l'Espagne et juste au-dessus de l'Italie. Et encore, ce chiffre reste fortement sous-évalué puisque, outre la non comptabilisation des grèves à France Telecom et dans la fonction publique territoriale et hospitalière, la sous-estimation structurelle du nombre de jours de grèves dans les données administratives n'est pas prise en compte. En supposant que la moitié des grèves dans le privé ne sont pas comptabilisées dans les statistiques du ministère du Travail et en ignorant les autres sources de biais, le nombre de JINT pour 1000 salariés en France serait alors de l'ordre de 137 (2).

Quelle est la portée de ce résultat ? Certains feront observer à juste titre qu'en l'absence de données standardisées à l'échelle européenne sur les conflits du travail, la validité de ce genre de comparaisons est très contestable. Au minimum, l'hétérogénéité des définitions et l'inégale qualité des sources statistiques nationales mobilisables sur le sujet devrait inciter à la plus extrême prudence en la matière. Et ils auront raison ! Le petit exercice auquel nous venons de nous livrer ne visait pas tant à déterminer avec précision la place occupée par la France dans l'échelle de la conflictualité au travail, qu'à montrer que l'utilisation de ce genre de comparaisons internationales à l'appui de la thèse selon laquelle il y aurait plutôt moins de grèves en France qu'ailleurs est pour le moins douteuse.

Si les données ne nous permettent pas de dire grand chose sur la manière dont le nombre de grèves varie dans l'espace, elles apportent néanmoins des éléments de réponse intéressants à la question de l'évolution du nombre de journées non travaillées au cours des 20 dernières années.

2/ Y a-t-il de moins en moins de grèves en France ?

En utilisant les données que nous avons collectées sur le nombre de grèves dans le secteur privé et dans la fonction publique d'Etat, on peut retracer l'évolution du nombre total de journées individuelles non travaillées en France entre 1984 et 2005 :


Plusieurs enseignements peuvent être tirés de la lecture de ce graphique :
1/ D'abord, on constate que l'évolution du nombre total de JINT est très irrégulière et se caractérise par la présence de pics très marqués en 1989 (grève générale du ministère des Finances), en 1995 (contre les réformes Juppé) et en 2003 (contre la loi Fillon). On notera que ces pics sont beaucoup plus marqués que sur les séries longues téléchargeables sur le site de la Dares et que tout le monde utilise sans remarquer qu'elles sont inexploitables en l'état : en effet, ces séries longues n'intègrent ni les grèves dans la fonction publique d'Etat, ni les conflits généralisés (qui sont pourtant responsables d'une partie importante du pic de 1995) ; surtout, elles ne comptabilisent pas les grèves dans les transports à partir de 1996.
2/ On remarque ensuite que la fonction publique d'Etat compte pour une part très importante du total du nombre de journées individuelles non travaillées (50% en moyenne sur l'ensemble de la période). En oubliant de l'inclure dans les calculs, on se condamne à une mauvaise interprétation des évolutions d'ensemble des conflits du travail.
3/ Enfin, le principal enseignement de ce graphique est que contrairement à ce qu'affirment certains, on ne constate aucune baisse tendancielle du nombre de journées de grève en France au cours des 20 dernières années. A tout prendre, la courbe a plutôt un profil en « U » qu'un profil décroissant.

Certes, que le nombre de journées de grève n'ait pas diminué n'implique pas nécessairement qu'il en soit de même pour le taux de grève (c'est à dire le nombre total de journées de grèves rapportées au nombre de salariés), la seule statistique qui nous intéresse vraiment. En effet, dans la mesure où le nombre de salariés a augmenté en France entre 1982 et 2005, le nombre de journées de grève pour 1000 salariés peut très bien avoir diminué même si le nombre absolu de journées non travaillées est resté stable. En utilisant les données sur l'évolution du nombre de salariés dans les transports, le secteur privé et la fonction publique d'Etat (3), nous avons reconstitué l'évolution du nombre de journées individuelles non travaillées pour 1000 salariés de 1982 à 2005 :


Ce graphique permet de constater qu'en dépit de l'accroissement du nombre de salariés entre 1982 et 2005, le taux de grève n'a pas spécialement décru pendant la même période.

Cette relative stabilité du taux de grève masque-t-elle des évolutions divergentes dans le secteur des transports, dans le secteur privé (hors transports) et dans la fonction publique d'Etat ? Pour répondre à cette question, nous avons calculé l'évolution du nombre de journées individuelles non travaillées dans ces trois secteurs entre 1984 et 2005.

Dans la fonction publique :



Dans le secteur privé hors transports :



Dans les transports :


Ce qui frappe d'abord à la lecture de ces graphiques, c'est l'importance de l'écart entre le taux de grève dans la fonction publique et le taux de grève dans le privé : de 1984 à 2005, on compte en moyenne 385 journées individuelles non travaillées pour 1000 salariés dans la fonction publique d'Etat, contre seulement 54 dans le secteur privé, ce qui signifie que le recours à la grève est 7 fois plus important chez les fonctionnaires que chez les salariés du privé au cours de cette période ! Le recours à la grève dans les transports n'est quant à lui que 2,6 fois plus important que dans le secteur privé.

Enfin, ces graphiques indiquent que la relative stabilité du taux global de grève est le résultat de deux dynamiques opposées : une augmentation tendancielle du taux de grève dans les transports et la fonction publique d'Etat, contrebalancée par une légère diminution du taux de grève dans le secteur privé hors transports. Ainsi, s'il est inexact de dire qu'on fait de moins en moins grève en France, il semble bien qu'on fasse de moins en moins grève dans le secteur privé. L'interprétation d'une telle évolution n'est toutefois pas aisée : nous y reviendrons dans un prochain post.

Bon, il est tard et les métros sont bondés. Il y a des jours où on se prend à rêver que les statistiques ne soient pas le seul endroit où les grèves disparaissent d'un coup de baguette magique...

Add. : Ian Eschstruth nous a écrit pour nous signaler la publication d'un rectificatif sur le site d'Acrimed.


NOTES

(1) Les Journées individuelles non travaillées (JINT) correspondent à l'ensemble du temps de travail non effectué par les salariés impliqués dans des grèves. Exprimé en jours, cet indicateur est établi à partir du recensement des arrêts de travail effectué par l'Inspection du travail.
(2) Pour corriger les chiffres de la faible couverture des statistiques collectées par les inspecteurs du travail, nous avons utilisé les estimations réalisées par Delphine Brochard de la manière suivante : chaque année, nous avons multiplié par deux le nombre de jours non travaillés dans le privé et les transports tels que mesurés par l’Inspection du Travail et les services du Ministère de l’Equipement.
(3) Pour calculer les taux de grève d’une catégorie donnée de salariés, nous avons divisé le nombre de journées « grevées » au sein de cette catégorie par les effectifs de cette même catégorie. Un exemple : en 2005, dans le secteur de la fonction publique d’Etat y compris la Poste, on a compté 1337036 journées individuelles non travaillées ; les effectifs de la fonction publique d’Etat et de la Poste étaient alors de 2 780 000 salariés, si bien le taux de grève pour cette catégorie est de 481 journées individuelles non travaillées (JINT) pour 1000 salariés. Pour obtenir les effectifs de ces catégories, nous nous sommes servi des séries longues du site de l’INSEE sur l’emploi salarié ainsi que de cet article de Philippe Raynaud.
_Julien_ _Laurent_

25 commentaires:

Paul a dit…

Brillant !

Anonyme a dit…

un tres bon post, au contenu vraiment original. bravo pour ce travail de fond!

Anonyme a dit…

Votre billet est vraiment très intéressant. A mon avis, vous devriez poursuivre l'effort et essayer de publier qqch sur ce thème dans une revue scientifique.

Anonyme a dit…

Tres bon travail.

J'etais aussi plus qu'un peu dubitatif en voyant ces graphiques la premiere fois, mais a force d'insistance j'avais fini par y croire!
Merci donc de retablir notre chere reputation, ternie pour quelques jours, de grevistes raleurs.

Anonyme a dit…

Je ne sais pas si la source primaire est la même que celle que vous utilisez (en dessous des tableaux en question : "MTETM/IGTT, SNCF,RATP, Air France, ADP, calculs MTETM/SESP"), en tout cas, les rapports annuels du CNT (Conseil National des Transports) sur "L’évolution sociale dans les transports" (disponibles sur www.cnt.fr) indiquent des chiffres supérieurs à ceux que vous avancez concernant le secteur des transports.

Par exemple dans le rapport de 2007 (http://www.cnt.fr/UserFiles/File/rapports/RS2004-2005/RS_2004-2005.pdf)
en 2004 : 155 692/ 742 000 = 210 jours perdus pour 1000 salariés
en 2005 : 407 962 / 743 000 = 549 jours perdus pour 1000 salariés
Nbre de jours perdus p.167
Effectifs p.29

Vous indiquez respectivement 150 et 390 pour 2004 et 2005.

En tout cas les tendances sur les 3 derniers graphiques donnent à penser et sont très intéressant.
Bonne continuation dans vos recherches/comparaisons de sources de données

Anonyme a dit…

excellent travail, 20/20 (bon, je préfère ne pas me noter, j'aurai qu'à mieux vérifier mes sources la prochaine fois...)

Pour nuancer quand même, j'ai cherché depuis de mon côté (c'est que ca me turlupinais depuis vos commentaires sur les données Dares...) des données un peu plus fiables et plus récentes sur les comparaisons internationales, avec les limites que vous mentionnez. Sur Eurostat, on a des choses intéressantes (avec données actualisées récemment : "In 2005, the Eurostat database was revised. Following the 2005 data collection organised in cooperation with the ILO, the series back to 1995 was updated. Two NACE categories were added: F (Construction) and Not Classified (covering public sector and results that are not classifiable by economic activity).")

On obtient le graphique suivant sur la base de leurs chiffres (attention, adresse en deux partie, sinon ca loge pas dans le commentaire!) :
http://ddata.over-blog.com/
xxxyyy/0/24/69/70/eurostat.jpg

La France est en cinquième position, au dessus de la moyenne, avec 71/1000, résultat intermédiaire entre le graph d'Eschstruth et le votre. Les données Eurostat montrent que la position du Danemark s'explique par l'année 1998 (1250/1000), les autres années, taux faible. C'est moins vrai pour l'Espagne, l'Italie et la Norvège.

Ce serait pas mal de recueillir également l'avis de Jean-Michel Denis sur votre billet, car je suppose qu'il ne s'appuie pas dans ses travaux sur le seul mémoire de Eschstruth pour dire que les grèves ont reculé depuis 1970.

Henri Tournyol du Clos a dit…

Merci beaucoup d'avoir pris le temps de défricher ce ce terrain particulièrement vague (à tous les sens du terme) assez curieusement laissé à l'abandon par l'appareil statistique national et où ne poussent que des données folles...

Anonyme a dit…

Très intéressant....

Juste un petit point qui me gêne : on part du principe que en France les chiffres fournis pour le secteur privé sont sous évalués, mais quid des chiffres des autres pays ? N'y a-t-il pas quelques chances que ceux-ci soient eux aussi erronés ?

Julien a dit…

@ Tous : merci pour vos encouragements !

@ William : merci pour ce lien sur le secteur des transports. En fait, les données publiées par le Conseil national des Transports sont les mêmes que celles collectées par la Dares : toutes proviennent de l’inspection générale du travail des transports (IGTT) pour le secteur privé ainsi que de la SNCF, la RATP et Air France. Elles concernent l’ensemble des conflits, qu’ils soient localisés ou généralisés. Les données fournies sur le nombre total de JINT en 2004 et 2005 sont les mêmes que les nôtres. Si le taux de grève (nombre de JINT pour 1000 salariés) diffère, c'est que les effectifs salariés que vous utilisez au dénominateur (743000 en 2004 et 743000 en 2005) n'incluent pas les grandes entreprises (la SNCF, la RATP et Air France) et se limitent aux "autres entreprises". La confusion vient sans doute du fait que la ligne "Total des emplois salariés" du tableau qui figure à la page 30 est erronnée, puisque les effectifs des grandes entreprises n'y sont pas inclus : au lieu de 743000 en 2004 et 742000 en 2003, il faut lire 1018000 et 1015000. Avec ces chiffres, on retrouve des taux de grève proches de ceux que nous indiquons : 152 jours perdus pour 1000 salariés en 2004 et 402 jours perdus pour 1000 salariés en 2005.

@ Olivier Bouba-Olga : Merci pour le lien vers les données Eurostat/BIT. L'histogramme que vous avez construit à partir de ces données (téléchargeables ici) pour la période 1998-2004 indique que le nombre de JINT pour 1000 salariés en France au cours de la période 1998-2004 (il y a une petite erreur sur le graphique, la période couverte n'étant pas 1995-2005) est égal à 79, alors que d'après nos propres calculs, ce taux est égal à 98,8.

Rappelons que ce taux est égal au rapport du nombre total de journées non travaillées et les effectifs salariés. L'écart entre notre taux et celui d'Eurostat est imputable à la fois au numérateur et au dénominateur, qui sont tous deux inexacts dans les données Eurostat :

1/ Le numérateur : les chiffres d'Eurostat proviennent des mêmes sources que les nôtres, la Dares pour le privé et les transports, la DGAFP pour la fonction publique d'Etat. Bien que le nombre total de JINT dans nos données soit quasiment identique aux statistiques d'Eurostat jusqu'en 1995, les séries divergent légèrement à partir de 1995, le nombre de JINT dans la base Eurostat étant inférieur d'environ 10% au nôtre, comme on peut le voir sur le graphique suivant. Cet écart provient du fait qu'à partir de 1995, les chiffres de la base Eurostat pour la France ne sont que des estimations (ils sont d'ailleurs tous marqués d'un astérisque "e" = "Estimated value"), alors que les nôtres correspondent aux chiffres réels.

2/ Le dénominateur : les effectifs salariés utilisés par Eurostat pour diviser le nombre total de JINT et ainsi déterminer le nombre de JINT pour 1000 salariés est en moyenne égal à 21,2 millions de salariés pour la période 1993-2005, contre 18,8 millions dans nos données, comme on peut le voir sur ce graphique. L'écart entre ces deux valeurs provient du fait que les effectifs salariés utilisés par Eurostat intègrent à tort tous les salariés du public, alors que les conflits dans la fonction publique territoriale et hospitalière, ainsi que les grèves à France Telecom, ne sont pas comptabilisés au numérateur. Il faut donc exclure ces catégories de salariés (soit environ 3 millions de salariés) des effectifs utilisés au dénominateur, ce que nous avons fait.

Au total, ces deux erreurs expliquent que, pour la période 1998-2004, les données Eurostat sous-estiment d'environ 20% le taux de grève, qui est donc bien de 98,8 JINT pour 1000 salariés. Rappelons que ce taux sous-évalue lui-même le taux de grève réel, du fait de la non comptabilisation des grèves dans la fonction publique territoriale et hospitalière à France Telecom et en raison du biais de sous-déclaration évoqué dans le post.

@ Eric E : vous avez tout à fait raison de souligner qu'il n'y a pas de raison pour que les statistiques sur le nombre de conflits du travail ne soient pas affectées par les même biais de sous-déclaration que les données françaises. Mais, comme nous l'expliquons dans le post, l'essentiel de la correction du taux de grève par rapport aux chiffres de Ian Eschstruth provient de la réintégration des grèves de la fonction publique d'Etat (ce qui fait passer le taux de grève pour 1000 salariés de 37 à 99), qui sont comptabilisées dans les chiffres de presque tous les autres pays. Par ailleurs, il est probable que le biais de sous-déclaration soit plus élevé en France que dans bien d'autres pays, dans la mesure où les statistiques sur les conflits du travail sont collectées par les Inspecteurs du Travail, dontce n'est pas vraiment le métier. Dans d'autres pays (en Autriche, par exemple), ces statistiques sont fournies par les syndicats (plus de détails ici), qu'on peut difficilement suspecter de sous-évaluer le nombre de grévistes...

Anonyme a dit…

Excellent travail, qui va nous aider à faire nos cours de terminale ES. Restent cependant quelques interrogations :
- quid des conflits de moins de une journée, de plus en plus nombreux (merci les flux tendus) et que la DARES, sauf erreur de ma part, ignore ?
- quid de la FP hors FPE (territoriale et hospitalière), dont les conflits sont, semble-t-il, pris en compte certaines années et pas d'autres ?

Anonyme a dit…

@aux auteurs : très juste, vous avez raison, j'aurais du vérifier que la somme était juste...
En tout cas, l'article du consultant François Doutriaux dans Libé a fait plus pour la désinformation que beaucoup d'autres, c'est très dommage. Un droit de réponse s'impose ainsi qu'une remise en cause du "comité de lecture" du journal ;-)

Laurent a dit…

@anonyme : Les grèves des fonctions publiques territoriale et hospitalière n'ont en réalité jamais été comptabilisées ni par l'administration ni par les instituts statistiques français. Or ces fonctionnaires représentent aujourd'hui plus d'un huitième de la population salariée. Concernant notre indicateur, la question serait donc de savoir s'ils font grève plutôt comme les salariés du privé (54 JINT pour 1000 salariés en moyenne sur la période 1984-2005) ou plutôt comme les salariés de la fonction publique d'Etat (385 JINT pour 1000 salariés en moyenne).
Le rapport du député Robert Lecou, dont nous parlons dans notre post, suggère que les grèves sont importantes dans les hopitaux publics en évoquant les grèves des infirmières en 1988, des internes en 1997 et des urgentistes en 1999 (et sans compter donc les grèves les plus récentes dans ce secteur). Mais ce "bruit" médiatique ne suffit pas à se faire une idée précise de la grève dans les hôpitaux, et le problème est encore plus important si l'on veut évaluer l'importance de la grève dans les collectivités locales puisque par définition leur couverture médiatique est plus faible.

Concernant les conflits de moins d'une journée (que l'on nomme "débrayages"), l'article de Delphine Brochard que nous citons dans le post montre que la couverture statistique de ces grèves est plus faible encore que pour les grèves plus longues (environ 8,4 % de ces débrayages semblent être réellement comptés). Par ailleurs, les chiffres les plus récents et collectés par des enquêtes statistiques plus fiables (REPONSE) indiquent qu'entre 1996-1998 et 2002-2004, le nombre d'établissements de plus de 20 salariés ayant connu une grève de moins de deux jours est passé de 15% à 18,8% alors que le chiffre est passé de 3% à 2,5% pour les grèves de plus de 2 jours (voir cet article pour plus de détails). La tendance que vous évoquiez semble donc à l'oeuvre.

Anne Lavigne a dit…

Je m'associe aux éloges des précédents commentateurs. J'ai deux remarques. La première est mon étonnement devant la faiblesse de l'appareil statistique sur cette question, et la faiblesse des études DARES, DREES et INSEE. La seconde, en partie corrélée à la première, est un témoignage personnel : en tant que directrice d'un laboratoire CNRS, les jours de grève, je reçois un mail (vers 8h30) me demandant de déclarer avant 12h les personnels CNRS grévistes de mon laboratoire. J'en avais déduit que cette information servait à une comptabilisation statistique (s'il s'agissait seulement de calculer les retenues sur salaire, l'information pourrait être transmise plus tard). Je transmets évidemment l'information quand je suis au laboratoire, mais si je suis en déplacement, je suis dans l'impossibilité de déclarer à temps le personnel gréviste.

Anonyme a dit…

de béotien :

Un grand bravo pour cette analyse qui remet bien les choses à leur place, surtout après Doutriaux (Libé) qui mériterait un bon droit de réponse et OBO qui aurait dû vérifier les dires de Doutriaux.

Ecopublix : Continuez de nous éclairer comme çà !

Vous êtes de plus cité (ainsi que OBO) dans La Croix :
http://www.ecopublix.eu/

Anonyme a dit…

Je disais donc dans LaCroix :
http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2321319&rubId=25041

Anonyme a dit…

Il y a un papier d'une sociologue, Sophie Camard, dans Genèses (disponible en pdf sur cairn,) sur la comptabilisation des jours de grèves. Elle compare les coupures de presses, des interviews d'inspecteurs du travail et les stats officielles de la DARES (où visiblement il n'y a qu'une seule personne chargée de la conflictualité au travail), et elle montre qu'aucune source ne coïncide, que le comptage va beaucoup changer selon le contexte (les inspecteurs du travail jugent si tel conflit est suffisamment "intéressant" pour faire l'objet d'un déplacement, procès-verbal, etc.). Et elle note aussi que le simple fait de compter aussi mal est révélateur du fait que la société considère la grève comme un mode de régulation des relations professionnelles du passé. 'fin bref c'est intéressant.

Anonyme a dit…

Aprés quelques recherches sur le site du CNIS (Conseil National de l'Information Statistique), je ne puis que vous confirmer une triste réalité : vous étes dans la position du chercheur fou, et de ce que vous souhaitez connaitre, tout les acteurs économiques se contrefoutent !

Il y a deux moments dans la statistique des grèves :
- celui où la grève se fait, quand les enjeux sont sur la table ; c'est le règne de l'intox, mais au moins on dispose de 2 nombres constituant une fourchette.
- le moment des bilans (et tout le temps qui suit) : sauf rare exception, pour les syndicats, les jours de grève sont ce qu'il a fallu perdre ; pour obtenir le plus souvent moins que ce qu'ils estiment juste. Pour le patron, ce ne peut jamais être un bon souvenir. Donc il y a unanimité : plus on oublie la grève, mieux c'est !

Julien a dit…

@ Gizmo : ce que vous nous dites du décomptage des grèves dans les labos du CNRS est effectivement assez inquiétant pour la qualité des statistiques sur les journées non travaillées à l'occasion de conflits du travail et montre que le biais de sous-déclaration n'est pas nécessairement cantonné au privé. Comme pour les données publiées par la Dares, les statistiques sur les grèves dans la fonction publique d'Etat sont très probablement sous-estimées.

@ Anonyme : effectivement, on parle d'Ecopublix dans la presse ! En plus de l'article de la croix, il y a dans le numéro de l'Expansion du mois de décembre un article consacré aux blogs d'économistes, dont le texte est repris ici.

@ Markss : nous sommes également tombés sur ce papier de Sophie Camard, très intéressant en ce qu'il dresse un panorama complet des sources statistiques disponibles sur les grèves en France. Il montre à quel point la qualité de ces données souffre de leur mode de collecte.

@ Pilou : votre argument serait recevable si la collecte des données sur le nombre de journées individuelles non travaillées en France dépendait uniquement du bon vouloir des patrons et des syndicats, mais comme nous l'expliquons dans le post, ces statistiques sont collectées par les inspecteurs du travail dans le secteur privé hors transports, par l'inspection générale du travail des transports (IGTT) pour les transports et par la DGAFP pour la fonction publique d'Etat. Si ces statistiques souffrent de biais importants, c'est pour d'autres raisons que celles que vous mentionnez. Par ailleurs, il n'est pas certain qu'on se condamne à jouer au "chercheur fou" en utilisant ces données, pourvu qu'on adopte une grande prudence dans l'interprétation des chiffres : en particulier, si le biais de sous-déclaration ne varie pas trop dans le temps (ce qui, je vous l'accorde, n'est pas nécessairement garanti), l'interprétation de l'évolution du taux de grève reste possible.

Anonyme a dit…

Un travail intéressant, mais qui tombe dans les pièges qu'il dénonce : notamment, les comparaisons internationales "redressées" supposent fiables les données statistiques recueillies dans les autres pays...
Les bons chercheurs dénoncent depuis longtemps - et de manière plus fine - l'insuffisance des données de la DARES. Voir par exemple : http://www.vacarme.org/article1276.html
En fait, l'analyse des transformations qualitatives des conflits du travail est sans doute plus instructive que le simple dénombrement des journées de grèves :
http://www.travail.gouv.fr/IMG/pdf/2007.02-08.1.pdf

Julien a dit…

@ Stany : êtes-vous sûr d'avoir bien lu notre billet ? Extrait :

« Certains feront observer à juste titre qu'en l'absence de données standardisées à l'échelle européenne sur les conflits du travail, la validité de ce genre de comparaisons est très contestable. Au minimum, l'hétérogénéité des définitions et l'inégale qualité des sources statistiques nationales mobilisables sur le sujet devrait inciter à la plus extrême prudence en la matière. Et ils auront raison ! Le petit exercice auquel nous venons de nous livrer ne visait pas tant à déterminer avec précision la place occupée par la France dans l'échelle de la conflictualité au travail, qu'à montrer que l'utilisation de ce genre de comparaisons internationales à l'appui de la thèse selon laquelle il y aurait plutôt moins de grèves en France qu'ailleurs est pour le moins douteuse. »

Nous n'avons donc jamais supposé que les comparaisons internationales des taux de grèves étaient fiables.

Quant au manque de « finesse » de notre travail, il tient à son objectif : dénoncer une escroquerie intellectuelle qui s'est largement répandue dans les media en effectuant un retour sources statistiques et non pas produire un travail de recherche original. Ça, on le laisse aux « bons chercheurs ».

Anonyme a dit…

Attention à ne pas tomber dans le piège.
Vous faîtes de l'analyse rigoureuse, mais pour qu'elle reste crédible, il convient de la détacher de toute opinion et de tout commentaire de nature politique !

La grève apparait dans votre article comme un mal qui, contrairement à ce qu'annoncait Libération, persiste dans notre pays. Question de point de vue.

Anonyme a dit…

Merci pour cette superbe mise au point. Pour l'anectode, j'ai passé cette soirée du nouvel an avec 4 amis anglais francophiles. La conversation tomba sur les récentes grèves et ces cher Anglais s'en sont donnés à coeur joie. Sûr de moi, j'ai mentionné les chiffres présentés par F. Doutriaux en pensant leur clouer le bec. Pas un seul n'a été convaincu, et je leur ai promis de leur envoyer un email avec les sources et les chiffres exacts utilisés par Doutriaux. Un rapide "Google" m'a permis de tomber sur votre analyse qui finalement leur donne raison.

Damned!

Anonyme a dit…

Pour plus de crédibilité à votre travail, pourriez-vous indiquer précisément les sources des bulletins mensuels des statistiques du travail, ainsi que vos modes de calculs?
Merci d'avance

Anonyme a dit…

Excellent article, heureusement que des gens comme vous prennent le temps de se plonger dans des statistiques obscures pour rétablir la vérité.


Un grand merci.

En vous souhaitant bonne continuation.

Anonyme a dit…

Dans la fonction publique, il n'est pas possible de débrayer. Dès lors une heure non travaillée est comptabilisée comme une journée de grève.
Cela n'expliquer pas tout mais il s'agit d'un élément fondamental.

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