jeudi 20 mars 2008

Le « problème » des retraites (3/40) : le minimum vieillesse


Le gouvernement a annoncé une revalorisation de 25% du minimum vieillesse sur 5 ans, dont 5% dès cette année. La presse et la blogosphère ont déjà commenté le caractère politique de l’annonce quelques semaines avant les élections municipales, mais peu de choses ont été dites sur les conséquences économiques de cette mesure, son coût, son financement et ses implications sur l’assurance vieillesse, questions finalement plus importantes que le débat sur les effets d’annonce. Ecopublix se met donc à la tâche et en profite pour vous faire réviser le fonctionnement des minima vieillesse en France.

I/ Objectif et historique du minimum vieillesse

Lors de l’épisode précédent sur la typologie des systèmes de retraite, nous avions opposé les systèmes dits bismarckiens (ou contributifs) qui fonctionnent comme des assurances obligatoires (à chacun selon ses contributions) aux systèmes dits beveridgiens qui offrent à tous une protection minimale et uniforme. Le minimum vieillesse relève de cette dernière philosophie. Il s’agit donc de redistribution, et plus précisément de lutte contre la pauvreté. Par le biais de la fiscalité, des transferts de revenu sont effectués au profit des individus de plus de 65 ans résidents en France qui ne disposent pas de revenus suffisants pour survivre décemment. Aucune contribution au système de retraite n’est exigée. L’objectif est d’éviter que nos concitoyens ayant atteint un âge élevé ne sombrent dans la pauvreté. Cet objectif d’équité ou de justice sociale est souvent opposé (par de méchants économistes) à un objectif d’efficacité ou d’incitation. En effet, si un revenu est offert sans conditions, le risque est de décourager le travail de ceux qui sont susceptibles de ne dépasser que faiblement ce revenu minimum (ou pour le reformuler dans un langage plus courant, d’être injuste envers ceux qui ont travaillé toute leur vie pour de faibles salaires). Dans le cas du minimum vieillesse, cet arbitrage est généralement considéré comme moins difficile : les individus arrivant à l’âge requis sans ressources suffisantes ont, du fait de leur âge, une offre de travail peu sensible aux incitations. Par conséquent, si la société souhaite éviter la pauvreté à ses concitoyens âgés, elle peut le faire sans trop risquer de désinciter au travail ses bénéficiaires. Mais ceci n’est vrai que si l’âge requis est suffisamment élevé et le montant pas trop élevé pour que cette aide soit ciblée sur ceux qui en ont réellement besoin.

L’ancêtre du minimum vieillesse en France est l’allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS). Cette allocation fut créée en mars 1941 par le gouvernement de Vichy dans le but d’atténuer le chômage et d’encourager le retour à la terre des ouvriers âgés. En fait, l’idée était en débat depuis 1938 et on cite à son propos la phrase du Maréchal Pétain « Je tiens mes promesses, même celles des autres »… L’allocation était conditionnelle à des années de contribution mais non proportionnelle au revenu. Ce n’était donc ni vraiment un minimum vieillesse qui s’adresserait à tous (pas universel), ni une assurance vieillesse à proprement parler.

Après la seconde guerre mondiale, de nombreux salariés âgés se retrouvent sans revenu (leurs économies ont été liquidées par l’inflation – l’euthanasie des rentiers n’a pas touché que les gros patrimoines…) et sombrent dans la pauvreté. Si aujourd’hui le pauvre est souvent un jeune sans emploi, en galère, après 1945, le pauvre par excellence est le vieux qui n’est plus en état de travailler et dont la pension est réduite à la portion congrue. L’assurance vieillesse mise en place en 1946 prend du temps à monter en charge et les vieilles générations n’ont pu valider que peu d’années, avec des montants relativement faibles, sans compter que même les retraites à taux plein du régime général n’accordent que 40% des derniers salaires à 65 ans (il faut attendre 70 ans pour obtenir 60% et il n’existe pas encore de régimes complémentaires). La pauvreté des vieux devient un des sujets majeurs et récurrents de l’immédiat après-guerre. Il faut attendre Guy Mollet en 1956 pour la mise en place du Fonds national de solidarité (FNS) dont le financement est assuré par voie fiscale (la fameuse vignette automobile, une hausse de l’impôt sur le revenu et une hausse des taxes sur les alcools). L’AVTS est augmenté de 10% à la même occasion et ouvert à tout résident de plus de 65 ans dont les revenus sont inférieurs à un certain seuil de revenu. Il s’agit d’un revenu de complément : les pensions de retraites faibles sont complétées jusqu’à obtention du minimum. Cette réforme est aussi un cas d’école d’économie politique : tout le monde est en apparence en faveur d’une augmentation du minimum vieillesse mais les réticences à en payer le coût sont fortes. Du coup le gouvernement met en place une affectation des ressources fiscales rendant le financement du FNS pour le moins complexe (un peu comme pour le financement de la dépendance avec le jour parfois-chômé-et-parfois-non de la Pencôte). Les syndicats, quant à eux, voient la réforme d’un mauvais œil en ce sens qu’elle met sur un pied d’égalité les salariés et les non-salariés (une grande partie des bénéficiaires du minimum vieillesse sont des agriculteurs ou femmes d’agriculteurs qui se retrouvent aux âges élevés avec des revenus très faibles).

Le graphique ci-dessous représente le montant mensuel pour une personne seule en euros constants 2007 (c’est-à-dire le pouvoir d’achat du minimum vieillesse – prenant en compte l’inflation – exprimé en euros de 2007). Depuis 1956, le minimum est revalorisé chaque année un peu plus fortement que l’inflation (il augmente en terme réel). Et c’est là que l’histoire est pleine d’ironie. Le minimum augmente plus fortement que l’inflation à chaque élection : juste avant les élections présidentielles de 1974, juste avant les élections législatives de 1978, juste après les élections présidentielles de 1981 et juste après les élections présidentielles de 1988… les élections municipales de 2008 n’ont pas dérogé à la règle !


La grande rupture de tendance date de 1982, après la forte augmentation présidentielle. À partir de cette date, il fut décidé de revaloriser le montant en fonction de l’inflation et non plus au-dessus de celle-ci. En 1993, le gouvernement d’Edouard Balladur remplace le FNS par le FSV (Fonds de solidarité vieillesse). L’idée est de prendre en charge tous les avantages retraite non contributifs (pas uniquement le minimum vieillesse) et de les faire financer entièrement par la solidarité nationale (l’impôt) pour les distinguer de l’assurance vieillesse (financée par les cotisations).

Une des caractéristiques du minimum vieillesse pendant toute cette période est d’être une suite complexe d’allocations différentes. Il fonctionne alors avec deux étages : le premier est un ensemble de 7 allocations auxquelles peuvent prétendre différentes catégories de population, le second est une allocation supplémentaire qui vient en complément des premières ou des pensions de vieillesses.

II/ Minimum vieillesse versus minimum contributif

L’année 2006 a vu une réforme salutaire du minimum vieillesse qui avait été annoncée dans la réforme 2003. Au lieu de l’architecture complexe précédemment évoquée, une seule allocation a vocation à constituer le minimum vieillesse : il s’agit de l’ASPA, l’Allocation de solidarité aux personnes âgées. Elle est versée à tout résident, de plus de 65 ans (60 ans en cas d’inaptitude) dont les revenus sont en-dessous d’un certain seuil (643 euros par mois au 1er janvier 2008 pour une personne seule ou 1126 euros pour un ménage). Le montant de l’allocation maximale (les revenus actuels sont déduits) est de 628 euros mensuel pour une personne seule et 1126 euros pour un couple.

Même avec cette réforme, le minimum vieillesse est loin d’être le seul minimum du dispositif social français en faveur des personnes âgées. Un dispositif moins connu est le minimum contributif. Il consiste à garantir une pension de retraite d’un niveau minimum pour ceux qui ont cotisé l’ensemble de la durée d’assurance (aujourd’hui 40 ans et bientôt 41 ans). Ces minimuma reflètent en fait l’arbitrage de fond entre redistribution et incitations (ou équité/efficacité) : si on offre un revenu inconditionnellement à l’effort (travail ou cotisations passées), le risque est de décourager les individus à travailler. C’est dans cet esprit que le gouvernement Mauroy a mis en place en avril 1983 le minimum contributif. Le montant vise à garantir qu’un salarié ayant passé sa vie au niveau du salaire minimum puisse obtenir une pension supérieure à celle du minimum vieillesse. Dans le même esprit, la loi Fillon de 2003 a mis en place un minimum contributif majoré qui est plus élevé que le minimum contributif simple mais ne bénéficie qu’à ceux qui ont la durée cotisée (et non simplement d’assurance) requise (pour l’objectif de garantir 85% du Smic à un salarié ayant cotisé la durée d’assurance complète).

Le minimum contributif est un outil de redistribution en faveur des salariés à bas salaires. A l’instar de la prime pour l’emploi, il est potentiellement un outil puissant pour redistribuer sans tomber dans le piège de la désincitation au travail et peut s’inscrire ainsi dans les mesures du Workfare. Mais, dans l’état actuel, le minimum contributif présente de nombreux défauts. Ceux-ci ont été mis en évidence par une étude la Drees de François Jeger, Carine Burricand et Ludovic Bourles (la Drees est un des centres d’études et de statistiques du ministère du Travail, de la Santé et du Budget), disponible sur le site du Conseil d’Orientation des retraites. Cette étude, qui mérite d’être lue, indique que le minimum contributif est très peu ciblé sur les pensionnés qui devraient en bénéficier (c’est-à-dire ceux qui ont cotisé toute leur vie avec de faibles salaires). De nombreux bénéficiaires du minimum contributif sont des retraités avec des pensions largement au-dessus du minimum vieillesse. La raison profonde de ce ciblage raté vient de la complexité de notre système de retraite avec ses nombreux régimes et règles. Le minimum contributif est un dispositif propre au régime général et il bénéficie donc à tous ses affiliés, même si ceux-ci bénéficient d’une pension correcte d’un autre régime.Le graphique ci-dessous (issus de l’étude de la Drees) montre la distribution des pensions des bénéficiaires du minimum contributif.


Non seulement les bénéficiaires du minimum contributif sont en grande majorité des « polypensionnés » qui disposent d’une autre pension que celle du régime général, mais en outre ceux-ci peuvent bénéficier d’une pension totale loin d’être négligeable : plus de 10% d’entre eux bénéficient d’une pension de plus de 2000 Euros. Les unipensionnés du régime général (les salariés du secteur privé) bénéficient du minimum contributif si leur pension est inférieure à la pension médiane (environ 1000 Euros), alors que les polypensionnés de la Fonction publique en bénéficient avec des pensions nettement plus élevées (85% ont des pensions supérieures à 1000 Euros). Le ciblage du système est donc extrêmement défaillant.

III/ Que penser des mesures annoncées ?

Que penser alors de l’augmentation de 25% du minimum vieillesse sur 5 ans ?

La première chose à évaluer est le coût de la mesure (la redistribution implique que l’Etat prélève l’équivalent de l’augmentation sur d’autres citoyens). Ce montant a été évalué par la Drees (dans une autre étude de François Jeger, Carine Burricand et Julien Pouget) à 2,45 milliards d’Euros (si elle était appliquée en une fois) soit une augmentation de 360 millions d’Euros par tranche de 5% d’augmentation.

La seconde chose à évaluer est le rattrapage du minimum contributif que cette revalorisation va effectuer. Les économistes de la Drees (qui ont décidément bien travaillé) ont fait quelques simulations pour estimer le nombre de retraités au minimum contributif qui se verraient « rattrapés » par le montant du minimum vieillesse. Je reproduis le tableau ci-dessous :


Avec la hausse de 25% du minimum vieillesse, près de 40% des retraités bénéficiant du minimum contributif se retrouveront avec une pension inférieure à ce montant. Si on ne souhaite pas abandonner l’idée de maintenir une retraite contributive plus élevée que le plancher du minimum vieillesse, il faudra considérer une augmentation du minimum contributif (dont le coût s’ajouterait à l’augmentation du minimum vieillesse). Dans le cas contraire, on renforcerait le filet de sécurité mais au détriment de la valorisation des longues carrières à faible salaire.

Il existe aussi une autre voie, suggérée par les économistes de la Drees, qui est de réformer le minimum contributif pour mieux le cibler sur ceux qui devaient en être les bénéficiaires à l’origine. Le premier obstacle à cet objectif est notre système de retraite parcellé, éclaté en de multiples régimes, aux règles complexes. Les économistes de la Drees proposent de mettre en place, par la voie fiscale, un crédit d’impôt qui permettrait d’atteindre cet objectif. On pourrait penser qu’essayer de simplifier et mieux coordonner notre système de retraite pourrait être une piste alternative, mais cela supposerait des changements d’ampleur.

En tout état de cause, la révision des minima vieillesse ne pourra en rester là et on peut s’étonner de voir le gouvernement feindre de découvrir l’existence d’un dispositif majeur comme le minimum contributif après avoir annoncé la revalorisation du minimum vieillesse. Au final, cette histoire met en lumière les problèmes que la complexité de notre système de retraite génère, y compris comme obstacle à la redistribution.
_Antoine_

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Cette annonce d'augmentation du minimum vieillesse laisse effectivement une impression bizarre: le dernier rapport du COR n'y paraissait pas spécialement favorable. Et notait que le taux de pauvreté monétaire chez les plus de 65 ans était 2 fois inférieur à celui des moins de 55 ans.
Pour le minimum contributif, à moins d'unifier tous les systèmes de retraite ('spoir...), je ne vois guère que la solution du revenu complémentaire jusqu'à la somme voulue, sinon, il y aura toujours des gens qui se retrouveront bien au-delà du fait de leur parcours personnel! Et alors la cible sera toujours ratée...
Et je ne vois pas en quoi le gouvernement feint de découvrir le minimum contributif: il me semble que cette question a été soigneusement évitée dans les déclarations publiques du gouvernement.

Anonyme a dit…

Merci, article très intéressant

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